Texte ==> Audio  

No4
   5-avril-2002   

REMARQUES SUR LE QUESTIONNAIRE SECURITE USINES EUROPEENNES DE COCA-COLA

Une enquête européenne:

Oser interroger l'ensemble des salariés des usines européennes de Coca-Cola Entreprises Inc. Sur leur ressenti sécurité et prévention à partir d'un même questionnaire, c'est bien. Il faut vouloir oser et Coca-Cola surprend souvent par ses initiatives qui le remettent en cause. Mais le questionnaire était-il bien?

Une initiative anglaise traduite:

Les questions sont toutes individuellement pertinentes, mais sont-elles les meilleures, c'est-à-dire sont-elles bien adaptées et n'y en a-t-il pas d'autres? Le questionnaire était à l'origine une initiative locale de notre usine soeur anglaise. Coca-Cola avoue que la traduction a posé quelques problèmes pour trouver les bons termes équivalents car des pratiques étaient différentes. Au delà de l'anecdote des soucis du traducteur, il y a là un indicateur de la limitation du questionnaire.

Un questionnaire anglais:

Si la forme du questionnaire était difficile à traduire, c'était aussi parce que le fond était légèrement différent. A lire l'ensemble des questions, on a plutôt l'impression d'être dans une usine des années 80. Les rapports entre les managers et leur équipe, l'organigramme des usines, les plans de prévention, l'initiative des salariés dans les situations dangereuses, les pouvoirs légaux des structures représentatives, la responsabilité des salariés et des dirigeants en cas d'accident du travail, l'information et la formation des salariés sur les risques sont des conditions de la sécurité et le questionnaire nous impose en transparence des conditions anglaises.

Des réponses mitigées:

Les réponses des salariés vaudront ce que valent les questions. Dans un tel contexte, il y aura beaucoup d'ambiguïté et de contradictions qui seront attribuées dans l'analyse qui sera faite aux salariés français dans leur ressenti sécurité. Si on traduit une règle de jeu étrangère complexe à des joueurs d'un autre pays et que l'arbitre étranger juge les fautes des joueurs, sanctionnera-t-il les joueurs ou la traduction des règles? Là est la question.

Qualité des questions et qualité des réponses:

De plus, c'est la question qui amène parfois la réponse et pour parer à cela, les mêmes questions ont été reposées (mais pas toujours) sous d'autres formes légèrement différentes pour mieux cerner la réalité sécurité sous le ressenti sécurité. Mais était-ce suffisant?

Le lieu et le temps des réponses:

Quand on demande à des salariés de répondre en une demi-heure et quand on leur demande de répondre consciencieusement à chaque question sans préciser de limite, la réponse n'est pas obligatoirement la même. Quand un manager demande à un opérateur de faire plusieurs choses en même temps alors qu'il n'en a manifestement pas le temps, il sait bien sûr qu'il se satisfait d'une douce illusion alors qu'il n'a pas lui-même osé faire remarquer à son propre manager le contexte de l'ordre nouveau. Quand un opérateur est mis brusquement dans une salle pour faire un travail intellectuel alors qu'il sort d'un travail manuel, est-ce bien idéal? Le service formation diffuse de bons questionnaires pour apprécier la formation reçue. En l'adaptant au questionnaire sécurité, on aurait pu avoir des retours intéressants La case "suggestions" mise n'étant pas directive ne pouvait remplacer ce manque. Que Coca-Cola interroge ses salariés sur ses conditions sécurité, c'est bien. Que Coca-Cola interroge ses salariés sur son questionnaire sécurité, ce serait mieux car complémentaire. Et ce n'est pas la présentation de l'enquête en Comité d'établissement qui permettait d'avoir un regard critique puisqu'il ne connaissait que 3% des questions.

La difficulté des réponses:

Vivre dans une usine livrée clef en main avec trois chaînes de production et vivre dans une usine livrée avec une ligne et qui a successivement créé deux autres lignes là où il y avait de la place, ce n'est pas la même chose. Vivre dans une usine qui travaille depuis longtemps en 3 x 8 et vivre dans une usine qui est passée du 2 x 8 au 3 x 8, voire au travail de week-end, ce n'est pas la même chose. Chaque usine a sa propre histoire et donc sa propre logique de traitement et de ressenti de la sécurité. Or si les questions visaient à découvrir l'image ressentie sécurité à l'instant présent par les salariés, elles ne ciblaient pas de quelle usine ils devaient parler, car on avait oublié l'ancienneté des salariés. Il aurait été pertinent de faire cocher "+ ou - de 5 ans d'ancienneté" pour comparer les moyennes. Si je juge ma sécurité personnelle aujourd'hui et si je la juge sur les 3 dernières années, ma réponse va être différente. Si je juge ma sécurité sur les 3 dernières années ou si je la juge sur les 19 dernières, ma réponse va encore changer. Et comme chaque Directeur d'usine a sa propre conception de la sécurité, les réponses peuvent être difficiles et le choix de la case à cocher peut parfois se situer entre deux cases alors qu'on m'oblige à n'en cocher qu'une.

Le classement sécurité européen:

Le classement de notre usine en France et en Europe sera-t-il possible? En apparence oui car Coca-Cola ne manquera pas de faire des tableaux. En réalité, on aura un très bon indicateur du classement de l'usine anglaise par rapport à ses usines soeurs et pas obligatoirement entre elles. Le reste de l'analyse des réponses, compte tenu des problèmes que nous avons soulevés, vaudra ce que vaut la prudence des analystes. Si je demande à dix salariés de prononcer leur nom en même temps et que j'en conclue qu'ils s'appellent chacun <<Herenbw>> , je ne suis pas plus avancé.

La prochaine enquête sécurité:

Le meilleur questionnaire est celui qui ose aussi se mettre en question et pas seulement celui qui produit des réponses. La qualité du dialogue d'un questionnaire avec les salariés suppose que les répondeurs puissent dialoguer également avec les questionneurs. La première enquête sécurité servira, soyons en sûr, à mieux préparer la prochaine. Elle supposera d'abord que les acteurs de la mise en oeuvre d'un questionnaire se rencontrent et intègrent ce que nous avons appelé les conditions de la sécurité et l`histoire de la sécurité afin que les questions aient un sens pour chaque salarié. Il faudra aussi appeler un chat un chat. Une entreprise est-elle composée uniquement de managers et de managés, de règles et d'applications? N'y a-t-il pas des instances représentatives et des syndicats dans l'établissement? Le Directeur n'est-il pas un des deux acteurs principaux de la sécurité en fonction de ce qu'il ose dire et faire et n'ose pas dire et faire (et les deux se conjuguent très bien)? Les managers sont-ils des individus ou des chefs d'équipe? Les Responsables des Ressources Humaines sont-ils les meilleurs juges et ne sont-ils pas aussi parties? Avant des élections, les batailles font rage pour faire croire qu'on est premier ou troisième dans les sondages. Décider de ce qui va classer aussi, d'une certaine façon, un service des Ressources Humaines ne peut pas être facile. Des questions posées sur le CHSCT jugent-elles les élus du moment ou la fonction même d'une représentation des salariés comme contrôleurs des risques? Les syndicats n'ont-ils rien à dire sur des questionnaires sécurité, alors que ce sont des salariés qui réfléchissent ensemble, tous collèges confondus, sur le quotidien et l'avenir, et notamment sur la sécurité?
Se maintenir en vie et en bonne santé dans une entreprise est la priorité des priorités car on ne peut pas améliorer collectivement et individuellement son salaire si on n'est pas en vie ou en état de lutter. C'est un des combats de Force Ouvrière, avec vous.


   top.gif    Dépôt CCE Les Pennes-Mirabeau: 5-avril-2002   
   c.gif    Responsable de publication: Dominique BOURDILLAT